lClaire avait acheté son billet de train « aller-retour » pour Londres en « Prem’s ». Acheté plus de deux mois avant son départ, ce billet était non échangeable ni remboursable.

Elle procédait ainsi aussi souvent que possible. Claire habitait en province et allait huit à dix jours à Londres, deux à trois fois par an, afin de rendre visite à son fils qui y vivait depuis de nombreuses années. Claire aimait beaucoup Londres. Si passer un long week-end avec son fils et plusieurs soirées en sa compagnie la réjouissait, elle aimait également visiter les nombreux musées et les galeries d’art. Voir et revoir les toiles de grands maîtres, étudiés lors de ses études d’histoire de l’art, la ravissaient. Et se frotter aux meilleures créations d’art contemporain lui donnait à réfléchir à ses propres productions. 

Son fils habitant au bord de la Tamise, près de « L’île aux chiens », elle prenait les navettes fluviales. Cette façon de se déplacer lui permettant de jouir du spectacle unique que constituait l’architecture londonienne. Un savant patchwork où palais anciens et majestueux côtoyaient d’audacieuses et originales constructions contemporaines réalisées par de prestigieux architectes.

Selon un rituel bien rodé, Claire avait réservé un taxi la veille de son départ, par téléphone ; taxi qui l’amènerait à la gare une demi-heure avant le départ de son train, lui laissant ainsi le loisir d’acheter son Magazin’Art au Point-presse, composter son billet et se rendre sur le quai TGV.

Cette fois-ci, elle voyagerait un dimanche. Jour inhabituel pour elle, qui le plus souvent prenait son train en milieu de semaine, toujours aux environs de midi. Car cerise sur le gâteau, son fils viendrait la chercher à la gare de St. Pancras. Il avait réservé des places pour une comédie musicale.

Juste avant d’empoigner sa valise, de fermer sa porte et de descendre ses trois étages, elle prit le soin de téléphoner à la Centrale des Taxis afin de s’assurer que son taxi serait en bas de chez elle, dans une vingtaine de minutes. La ligne téléphonique étant occupée, elle décida de ne pas pas s’attarder. Elle fit le tour des pièces, vérifia portes et fenêtres, gaz et électricité. Elle verrouilla soigneusement sa porte d’entrée.

Dehors il faisait un temps de rêve. Dans huit jours, ce serait le printemps et l’on pouvait apercevoir mille petites feuilles et fleurettes prêtes à s’épanouir, dans le parc de l’autre côté de l’avenue. Selon l’heure que lui indiquait son téléphone portable, il lui restait treize minutes à attendre.Toutefois, Claire rappela la Centrale. Un message lui indiqua que la ligne était saturée.

Il n’y avait quasiment pas de circulation dans son avenue. Les employés de la pizzeria à deux entrées de la sienne, sur sa droite, commençaient la mise en place du déjeuner. Les bras chargés de cartons, ils faisaient des allers-retours entre leurs voitures garées sur les places de livraison et la boutique.

À présent, Claire guettait son taxi de loin. Arriverait-il sur sa gauche ( le centre-ville) ou bien par la droite (côté Bonsecours) ? A moins qu’il ne débouche de la rue qui faisait un « T » avec son avenue au bord de laquelle elle s’était rapprochée. Le compte à rebours avait commencé. Le taxi accusait à présent huit minutes de retard. Pas trop grave, se dit Claire, en elle-même, j’ai de la marge, il n’y a quasiment pas de circulation, le taxi arrivera à compenser son retard.

Elle composa à nouveau le numéro la Centrale d’appels : occupé !

Claire s’impatienta lorsque son téléphone lui indiqua qu’elle aurait dû être à la gare. C’est encore jouable, se dit-elle, et sans hésiter Claire se rendit à la Pizzeria où elle était cliente occasionnelle. Elle demanda aux employés si l’un d’eux voulait bien la déposer à la gare ; son taxi commandé la veille lui ayant fait faux bond. Elle s’entendit répondre : « Pff… les taxis, le dimanche ? Faut pas s’y fier m’dame. Appelez Uber ! 

— Trop tard ! Mon train part dans un quart d’heure. Je vous donnerai l’argent du taxi », supplia Claire.

— Hé non ! Pas le droit de quitter le boulot. Uber, on vous dit ! », répondirent-ils.

Claire eut encore un espoir. Sur sa gauche, au loin, devant l’entrée principale de l’hôpital central, il y avait une « tête de taxis » avec un peu de chance… Mais non. Rien de rien ! 

Tandis que Claire avait guetté son taxi, au bord de la chaussée, elle avait aperçu quelques va-et-vient de voitures qui se garaient devant le Parc. À cette heure… des joggeurs sans doute, avait-elle pensé. Je vais demander au premier qui sort du Parc, avec un peu de chance, il me conduira à la gare, se dit-elle. 

Munie de son indécrottable optimisme, Claire traversa l’avenue en vitesse et tout essoufflée, héla la première personne qui sortit du parc. D’un ton navré, elle plaida sa cause. Le jeune homme accepta en souriant. Il ne leur restait que six minutes pour arriver à la gare et tandis que Claire, les yeux rivés sur l’horloge du tableau de bord, regardait les minutes s’égrainer, elle remercia l’homme tout en retenant son souffle. S’étonnant encore d’une telle serviabilité, le jeune homme la rassura. Claire y crut.

Il était moins une lorsque le jeune inconnu déposa Claire devant l’entrée de la gare, et refusa aimablement qu’elle lui règle la course. Claire courut, sa valise à roulettes à ses trousses, vers le quai numéro un. Trop tard ! Elle vit à travers la porte vitrée qui donnait sur son quai, que le TGV était parti.

En regagnant la sortie, tête basse, fulminant contre les taxis, Claire passa devant la billetterie. Son intuition lui dit qu’il existait une possibilité «dans l’heure qui suivait le ratage du train ».

Elle présenta son billet à une hôtesse, qui le regarda attentivement ; sa tête allant du titre de transport au calendrier électronique et vice-versa. Claire décela-t-elle une pointe d’ironie lorsque l’hôtesse lui dit : « Madame c’est demain, lundi que vous embarquez », en pointant du doigt la date de départ du billet de train.