Souvent nous pensons que nos parcours de vie sont liés à nos choix ; profession, lieu de vie, relations, loisirs. Nous croyons choisir et pourtant… L’histoire que je vais vous raconter pourrait vous faire douter de notre libre arbitre, tant elle défie toute logique.

A la suite de mon divorce, je décidai de retourner dans mon pays natal. Je choisis de m’installer dans une petite ville universitaire. Dans cette ville quasi frontalière, ma langue maternelle y était parlée sans accent germanique et sa célèbre Place qui comptait parmi les sept plus belles au monde me charmait. Je n’y avais ni parents ni amis. Jeune, j’avais épousé un étranger afin de fuir une emprise familiale où dictons et sentences étaient ponctués de non- dits. J’entretenais avec mes proches des relations sporadiques. Ayant l’intention d’y reprendre des études, tisser de nouveaux liens ne me serait pas difficile.

j’avais dû louer un studio dans une avenue proche des facultés, car mon père avait bloqué ma part d’héritage l’orsqu’à sa retraite il avait cédé son affaire a mon frère ; déçu sans doute par mon divorce.

Le temps passant il s’adoucît car deux ans après mon aménagement, il vint me rendre visite. Au moment de se quitter, il m’avoua qu’il avait bien connu ma ville dans sa jeunesse. Il y avait fait son apprentissage en pâtisserie.

Peu après sa visite, je reçus une coquette somme d’argent. Ma part d’héritage néanmoins ne pourrait servir qu’à acheter un logement.

Par des voisins, j’appris l’existence d’un atelier d’artiste, au troisième étage d’un immeuble ancien. J’aimais les lieux chargés d’Histoire. Cet atelier bien que régulièrement loué à des étudiants, était vide. Pour d’obscures raisons de verrière. Je n’étais pas superstitieuse. Cependant soucieuse de ressentir l’atmosphère du lieu, je le louai, d’abord. 

Dans le vaste atelier, la verrière zénithale offrait au regard toutes les variations du ciel. Par les petites fenêtres latérales, je voyais palpiter la vie. Vers l’arrière, la nuit durant, la Maternité régionale diffusait sa douce et rassurante lumière. A partir de deux heures du matin, je pouvais suivre le ballet des petits mitrons, en bas, dans la cour du boulanger, mon contre- voisin. Décidément, ce lieu ne manquait pas de charmes. Je fis tout mon possible pour l’acquérir.

Après quelques travaux de rénovations, j’invitai mon père et ma tante à pendre la crémaillère. Seul mon père répondît a mon invitation. A ma grande déception, ni l’atelier qui pourtant était baigné de lumière, ni l’appartement attenant ne lui plurent. Songeur, il me dît : «  Je ne comprends pas. Ici rien n’est droit »! Sous le coup du dépit, je restais interdite. Ce n’est que bien plus tard que je compris sa sentence sibylline.

Peu de temps après, je renouvelai mon invitation à ma tante, la sœur de mon père. Elle me reçût sèchement : «  Comment avais-je pu avoir l’idée de m’installer dans cette ville? Avais-je oublié que ma grand- mère y était morte lors d’une grave opération »? A l’époque, je n’avais pas neuf ans. Je me souvenais de ma grand- mère malade, sans plus.

J’interrogeai mon père qui me révéla que malgré un cancer généralisé, ma grand- mère avait exigé contre tous les avis médicaux, d’être opérée. C’est alors que ma tante et son mari médecin, étaient venus de loin afin d’assister à l’opération. Ma grand- mère n’y avait pas survécu.

Cette révélation m’assombrît… Depuis ma verrière, je pouvais voir les toits de l’hôpital où ma grand-mère avait été opérée.

Quelques temps après, la santé de mon père se dégrada. En quelques jours, il mourût des suites d’un AVC.

Trois mois plus tard, je reçus un appel téléphonique qui m’ébranla. Un inconnu portant le même nom que mon père, prétendît être mon cousin. Connaissant tous le membres de ma famille, je fus étonnée de cette soudaine irruption. Je demandai à l’homme comment il avait eu mon numéro. « Par ton frère, ma cousine » me repondit-il, narquois.

En effet, j’appris que cet homme, en grand secret, rendait régulièrement visite à notre père. Ayant appris son décès par notre gouvernante, cette dernière l’avait orienté vers mon frère. L’homme recherchait sa mère, la sœur de notre père sit-disant, qui l’aurait abandonné à sa naissance. Notre père le recevait, lui offrait un café et le renvoyait dans ses filets… arguant qu’il n’avait plus aucun contact avec sa sœur depuis belle lurette.

Mon frère sur le point de partir en vacances, renvoya l’homme vers moi et sans vergogne lui donna mon numéro de téléphone.

L’homme me demanda l’adresse de ma tante ; sa mère soit-disant. Abasourdie par sa requête, j’eus le réflexe de lui demander la preuve écrite de sa filiation : son acte de naissance.

L’homme continuai cependant de me téléphoner pour m’implorer de lui donner l’adresse de sa mère. Je ne compris son insistance brouillonne que le jour où il m’avoua être né dans ma ville. A présent, il voulait que je l’accompagne à la Maternité où il était né. Maternité que je voyais justement depuis mon Atelier.

Le temps se gâtait. Je commençais à considérer ma verrière d’un œil suspicieux… Cependant je restai ferme : pas d’acte de naissance? Pas de rencontre ni de visite à la Maternité.

A la fin de l’été, je reçus enfin une lettre assortie d’un acte de naissance. L’homme travaillant à la morgue d’un hôpital lyonnais était illettré. Il avait dû attendre le retour de vacances d’une collègue pour répondre à ma demande. Son acte de naissance attestait sa filiation avec ma tante.

Après bien des démêlés avec ma tante, il s’avéra qu’en grand secret, cette dernière – jeune étudiante-, aidée par son grand frère – mon père- était venue accoucher à la Maternité de ma ville. Ensemble, ils avaient décidé de déposer l’enfant à l’Assistance publique.

Bouleversée par cette  révélation, je l’étais. Sidérée… bien plus encore! Car ayant délibérément choisi de vivre dans une ville où rien ne me rappelait ma famille, j’avais sous les yeux, par ma verrière, le décor « grandeur nature » d’un drame familial joué en grand secret.